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TAPIS TOISON

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Le tapis, objet nomade dans son essence, crée un espace dans un espace. On entre dedans. Il nous projette dans un autre temps, lieu, une rêverie, on y lit, somnole, mange, discute assis en tailleur, allongé.

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Le tapis est un objet et espace premier qui renvoie immédiatement au sentiment de “chez soi”. Il crée un lieu intime de proximité,  d'intimité, de recueillement et d’accueil. “On ne marche pas sur un tapis, on entre dans un espace qu’il circonscrit. Il n’appelle pas une saisie purement optique, mais tactile dans lequel le corps tout entier se trouve engagé.” (1) Il a la faculté de structurer matériellement et immatériellement. 

 

Il est également étroitement relié à une conception de l'espace sédentaire ou nomade. Dans Les milles plateaux, Deleuze et Guattari associent le tissu à l'espace structuré ou non. Dans le tissage et le territoire sédentarisé, les lignes qui se croisent sont les fils, qui forment des angles droits, des bordures (lisières) et limites. Dans le feutre, une agglomération de fibres aléatoires, sans bords, sans sens, crée un espace nomade. La matière reflète le territoire, sa circulation, ses lois, ses techniques et principes. (2)

 

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A la suite d’un été passé à commencer à apprendre l'élevage ovin au sein d'une ferme des Côtes d’Armor, émerveillée par la beauté de ce territoire, j’ai remarqué la richesse des ressources dont il regorge. 

 

Certaines d'entre elles, pleines de potentiel n'attendent qu'à être récupérées, retravaillées, transformées pour enrichir un foyer. Les Tapis sont nés d’un désir de revaloriser deux matières déchets : la toison de laine trop souvent destinée à l'enfouissement, et les cordages de polypropylène échoués sur les côtes, artéfacts de l'industrie de la pêche. 

 

Par le biais de savoir-faire textiles simples et millénaires, j’ai fabriqué des tapis tissés sur métier à tisser quatre cadres et foulés à la main et en machine. De l’envie de conserver la richesse des nuances et textures des matériaux travaillées par les éléments est né la démarche de prendre la matière à son état le plus brut. 

 

Les processus de transformation sont devenus une danse patiente des mains qui fait connaissance avec la matière. Mes mains, alliées à l’outil et les connaissances cumulées d'autres humains ont formé un textile qui concilie harmonieusement les contraires visuels et tactiles. 

 

Les Tapis sont doux et moelleux au toucher grâce à la laine, robustes et rassurants grâce aux matières complémentaires: le polypropylène et la jute. 

 

Chaque tapis devient une manifestation sensorielle de l’esprit singulier d’un territoire.

Une des choses qui m’a le plus marquée lors de la tonte était les teintes et le toucher qui varient d'une toison à l'autre. Je voulais trouver un moyen de conserver cette richesse. En prenant la matière à l'état brut, sans trop de processus de transformation, je valorise la diversité et le potentiel des matières et des territoires qui en regorgent par le biais de savoir-faire manuels millénaires (patrimoine humain précieux). Cela permet aussi de solutionner le problème des coûts cumulés de transformation et de gâchis de matière. 

 

Je souhaitais jouer sur un contraste de couleur et toucher entre les toisons de laine douces, chaudes dans des tons terreux, irréguliers et la corde polypropylène rigide, froide, lisse, reguliere, en couleurs saturées pour voir comment des opposées peuvent coexister, concilier les contradictions. Je cherchait aussi à créer une composition solide et harmonieuse et trouver un équilibre entre l’épuré et l’imparfait. 

 

Ultimement ce projet était aussi une façon de me ré-enraciner dans un rapport avec la beauté des matières, le travail manuel, le tactile, et à la terre à l'ère de la perte du toucher et de la dématérialisation imposée du faire, de la culture et du lien social. Créer un objet à partir d’une matière qu’on a appris a aimer et connaître, qu’on a récolté et transformé manuellement est une des expériences les plus enrichissantes à vivre que je souhaite pouvoir partager.

(1) MICHAUD Philippe-Alain (dir) Tapis volants, Rome, Drago, 2012, p.29

(2) DELEUZE et GUATTARI, Les milles plateaux,  Paris, Les Éditions de Minuit, 1980

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